Le 16 décembre 2021, lorsque je reçois un mail un mail, m’indiquant que mon dossier sur « les petites retraites en France » avait été sélectionné, une grande joie m envahit. Je vais pouvoir travailler dans la tranquillité financière et finir ce projet que j’avais commencé il y a déjà deux ans.

Janvier 2022 

Je commence mes recherches. Rien ne se dessine comme prévu dans le synopsis que j’avais fait parvenir. Pour le dossier, j’avais indiqué une cartographie, mais comme je n’ai aucun sens de l’ orientation,  j’achète une grande carte. Je dors mal cela me réveille la nuit, cela m’embrouille. Alors, je décide de me recentrer sur la recherche des retraités à photographier.N’ayant pas reçu le budget, je commence par Paris. Mais là encore, rien ne se débloque : je passe des heures au téléphone,  je me déplace dans divers endroits , je cherche un vieux migrant qui accepte de me rencontrer, ... Mais rien,  partout, c’est non. Je réfléchis aussi sur la forme photographique :  noir et blanc, film couleur, numérique, argentique ? Comment vais-je  aborder le travail pour montrer cette réalité. Plus je réfléchis,  plus tout s’embrouille. Alors, je décide de tout stopper et de ne plus chercher une forme.  Je verrais bien sur le terrain. 

Février 2022

Le budget est arrivé. Mon amie France m’indique une dame qui, peut être correspondrait à mon sujet. Je lui téléphone, on discute et je décide de partir la semaine d’après à Marseille pour la rencontrer. Je cale tout, et hop, je m’explose la cheville. Je décide de partir quand même . Mes boîtiers sont prêts et les contacts ont été trop durs à trouver pour que j’ annule ce RV. J’arrive à Marseille, il fait beau, cela fait du bien. Je dois rencontre Annick le lendemain,  il faut que je repère où sont les quartiers Nord de la ville.Le lendemain , je pars je prends le métro jusqu au terminus, je découvre les quartiers Nord pour la première fois. Les gens sont gentil , ils me disent de faire attention à moi. Deux femmes musulmanes viennent me voir et me disent :  «  Faites attention à votre sac ». Je leur dis : « Ah, bon ? Pourquoi ? » Elles me répondent : «  Ils n’hésitent pas à agresser des vieux,  des jeunes, des femmes pour les voler. » Je les remercie et je vais à la rencontre d’ Annick. Le contact se passe bien, on discute toute la journée, j’ observe son environnement. Je lui explique ma démarche,  mon projet. Tout est OK pour commencer demain. Je rentre à Marseille, je m’assois et regarde la mer et les bateaux. Le lendemain, j’arrive avec mes boîtiers, on boit un café. J’ai de la « bouteille » et je connais mon métier,  mais c’est dur de sortir le boîtiers,  je suis dans l’intimité des gens. Je décide de commencer par un portrait pour mettre Annick à l’aise , la complicité commence à s’installer, on reboit un café. Puis d’un seule coup,  tout démarre, Annick prépare à manger, je commence à photographier, je ne reste pas trop longtemps Après, de jour en jour, la complicité monte. Le soir, je décharge les photos sur mon disque externe car j’ai choisi de faire du numérique. J’ai toujours peur de perdre les fichiers, je vérifie de nombreuses fois. C’est long et quand on rentre d’une journée de reportage, on a juste envie de se poser . Après plusieurs jours de prise de vue, je sens que Annick en a marre. Je me dis que c’ est trop intrusif. Épuisée, vidée, je décide de rentrer à Paris. Là, je pose le travail, j’édite pendant 3 jours et je me dis qu’il il faut que j y retourne ; ce n’est pas assez fort, il me manque plein de situations dont Annick m’a parlé, j aimerais pouvoir les écrire en photos. Ma cheville a un peu désenflé. Je téléphone à Annick pour lui expliquer qu’il me manque des photos avec ses enfants, pour illustrer le pouvoir d’achat, etc, etc...Tout ce qui fait qu’il est difficile de vivre avec une petite retraite. Elle me dit : «Viens quand tu veux . » Je suis Annick dans son quotidien pendant plusieurs jours. Je gère aussi les autorisations de publication. Pas facile non plus ces autorisations, Annick et sa famille les lisent, je leur explique aussi le pourquoi du comment. Quand j’ ai commencé mon métier de photo-reporter, les autorisations n’étaient pas  obligatoires. A chaque fois ,c’est une angoisse pour moi qui fonctionne avant tout à la confiance … Après quelques jours, je n’en peux plus, je le dis à Annick,  je rentre à Paris. Émotion, je suis triste, c’ est une belle personne . . On reste en contact, il est fort probable que j y retourne. A Paris, commence le travail d'éditing,  je sauvegarde tout dans mes disques, j’écris les légendes, j’édite aussi des photos pour Annick et sa famille car j ai promis de leur envoyer des tirages ; je dois aussi faire le budget pour ne pas l’ exploser. Le problème, c’est qu’Excel et moi,  on ne s’aime pas. Heureusement, mon amie Christelle va m’aider. 

Mars 2022

Je décide de travailler sur la zone nord de la France. Je passe donc plusieurs jours à envoyer des mails, à faire des revue de presse. La chargée de communication du Secours populaire de Lille m’envoie quelques contacts. Je téléphone, j’envoie des mails , encore et encore : aucune réponse,  aucune aide. C’est la guerre en Ukraine, ils ont trop de travail et mon sujet sur les petites retraites, ce n’est pas leur priorité.J’appelle mes amis photographes du Nord de la France, ils disent «  pas évident du tout ton sujet,  cela demande du temps ». Mon ami photographe Jean-Manuel me donne le nom d’une amie à lui, journaliste dans le Nord de la France. Je lui téléphone, elle me donne quelques pistes en me disant : « laisse tomber la cartographie, tu vas être trop court ». Pour Calais,  je téléphone à la patronne d’un bistro, et après beaucoup de bavardages téléphoniques, elle me dit : «  je vais voir ce que je peux faire pour vous ». Je boue à l’intérieur, c’est la guerre en Ukraine … Je décide de me passer de tout le monde. Je prends un train pour Boulogne-sur-Mer où je dois rencontrer un marin, je lui donne rendez -vous dans un café, on parle ;  il me raconte sa vie, il est OK pour un interview,  mais pas pour des photos. Déception… Je traîne dans Boulogne puis je rentre à Paris. Il faut que je reprenne tout à zéro. Je voie aussi l’ampleur du boulot et le temps qui passe. La plupart des retraités que j’ai rencontrés sont d’ accord pour une interview mais pas pour des photos. Je continue à enquêter, je sors mes cahiers de route que je fais depuis plus de 20 ans, je tombe sur le numéro de téléphone de Charles, je l’appelle. Il me dit être à la retraite et dans une situation catastrophique. Je lui demande si je peux le rencontrer, il me dit OK. Je redescends vers le Nord mais à Calais. On parle :  il est d’accord pour les photos ;  le reportage commence. Pas évident les photos chez Moustache car il n’y a pas de lumière. Je me rends compte que les gens en difficulté n’ont souvent  pas de lumière dans leur habitation. Le reportage fini,  je rentre pour éditer. Le plus dur, ce ne sont pas les photos mais les PAROLES. C’est très violent, ces situations de grande détresse et je me dis : « quelle injustice sociale !»  A la terrasse d’un café parisien,  je discute avec un homme. Il me dit « vous semblez très fatiguée », je souris et lui dit : « cela se voit tant que cela ??? ». Au fil de la conservation je lui explique mon projet photographique. Il se nomme Francis ; il me dit être lui aussi à la retraite et qu’ il survit tout juste, je prends son numéro de téléphone.  Je suis trop fatiguée pour parler plus. Je vais faire les tirages pour Moustache, cela lui fera plaisir , Je prends deux jours pour poser et rééditer le travail. C’est moyen , le sujet est peu visuel. Comment saisir l’insaisissable ??? Il y a la guerre en Ukraine, je me retiens de ne pas partir, je dois continuer à montrer cette réalité et ne pas penser à mon ego photographique. D’accord, le sujet n’est pas visuel. Mais l’injustice, elle, est là. Alors ; même si les photos ne sont pas top, il me faut continuer. Je rappelle Francis, on prend rendez-vous. Interview, c’est reparti, je le suis dans son quartier. Mais après, je me rends compte que je ne pourrai pas publier les photos sans le mettre en danger, je ne pourrai vous en donner la raison. Bon, je reste zen et je continue à le suivre ; des heures de boulot pour saisir une photo qui témoignerait de ces êtres humains délaissés de notre société, une photo qui toucherait, une image qui permettrait de donner la parole à des personnes que l’on ne voit pas, ou que l’on ne veut pas voir, une image qui dirait les mots qu’il me disent, ces mots qui sont plus puissants que mes photos. J’ai envie de tout plaquer ; la fameuse  «  solitude des photographes ».

Avril 2022

C est reparti pour des heures de téléphone et d’enquêtes … Ma décision est prise, la cartographie, c’est fini. L’exhaustivité de ma série photographique sur les petites retraites est essentiellement basée sur les profils sociologiques de mes sujets et non sur la territorialité. Je cherche un agriculteur ; un ami me donne le nom d’un couple de paysans ; je téléphone, lls me disent «  pas pour l instant ». Je descends alors à Château-Thierry ou j’ ai appris qu’il y avait une foire au animaux. Et là, toujours le même discours : « d’accord pour l’interview, mais pas pour les photos ». Je reçois un appel du service photo du journal Le Monde «  Diane, tu connaîtrais un retraite qui travaille ? »  et je repense à Stéphane un ancien contact. Le Monde m’a toujours soutenu dans mon travail. Après avoir repris contact avec Stéphane, le reportage commence. Je me dis que cela fera un profil de plus pour la commande photographique. Je téléphone à  Emmanuelle de la BNF. Elle me dit « OK » pour la publication du Monde, je rends ma pige au Monde et continue mon reportage sur Stéphane pour la grande commande photographique.  Je continue aussi à voir Francis. Toujours pas  d’agriculteur en vue ; je cherche, mais rien. Fin avril -début mai,  je décide de descendre dans le Larzac et de chercher par moi-même. Je prends le train en fredonant la chanson de Brel «  t’as voulu voir Vesoul est bien ta vue Vesoul «  et je souris en chantant «  t’as vouloir voir le Larzac bien t’as vu le Larzac ……..   

Mai 2022

 Après avoir traîné dans Montpellier je prends le bus pour rencontrer Christian Roqueirol, un des premiers militants de la Confédération paysanne en Aveyron. Je découvre le Larzac et ses paysages  d’une beauté à couper le souffle. Christian m accueille  chez lui, ici tout est calme , on parle beaucoup je lui explique ma démarche photographique. Il me dit : « On prend la voiture demain et je vais te présenter à des paysans du Larzac ». Il me propose aussi de dormir chez lui, je rencontre aussi son épouse qui élève des brebis, il m invite à manger, trop bon le repas… Nous partons le lendemain matin, je continue à regarder les paysages, c est vraiment  beau. « Je reviendrai en vacances un jour », me dis je. Je rencontre Gustave ;  le feeling passe tout suite entre nous, on boit un café , on parle de choses et d’autres. Gustave a fait la marche des 103 , il avait 33 ans à l’époque (La lutte du Larzac  est un mouvement de désobéissance civile non violente contre l'extension d'un camp militaire sur les Causses du Larzac qui dura une décennie, de 1971 à 1981 et qui se solda par l'abandon du projet sur décision de François Mitterrand, nouvellement élu Président de la République).  Il me raconte toute cette histoire que moi je ne connaissais pas. C’ est ce qui est enrichissant dans notre métier,  on apprend toujours des choses nouvelles . N ayant aucune notion non plus du monde paysan, il m explique comment cela se passe. Gustave n a plus 20 ans il commence à fatiguer, je le sens. Je lui demande si je peux revenir le lendemain, il me dit oui pour le reportage. Je repars avec Christian contente et je me met a rêver dans la voiture en regardant cette immense beauté. Le lendemain, j’arrive chez Auguste, il me fait visiter la ferme , je voie les brebis de près ;  c est mignon, je commence le reportage. Ici, je n ai pas de soucis avec la lumière , ni avec la profondeur de champ. Après quelques jours, je reprends le bus pour Montpellier ; le reportage est bouclé. Je dis à Auguste que je lui enverrai des photos car lui et le téléphone pas son truc. Avant de partir, il me dit «  Vous auriez une bonne  fermière,  vous êtes costaude mais préservez-vous quand même ». Je me dis tout bas,  je lui enverrai des cartes postales de Paris. Retour à Paris,  je sauvegarde ;  un peu de repos et je reprends toutes les photos , il me manque un bénévole. il faut que je voie aussi Emmanuelle de la BNF. J’ai besoin de son appui et de faire le point.  Je travaille seule et je n’arrive plus à avoir le recul nécessaire. Le rendez-vous est pris pour le 31 mai 2022, alors  je commence un pré-éditing de 100 photos.  J’essaye de réduire le nombre,  mais je n’y arrive pas … Le 31 mai,  j’arrive à la BNF Richelieu,  où je rencontre Emmanuelle. On regarde les photos et je me sens plus rassurée. Elle trouve le travail bon et en plus, elle est vraiment sympa. Elle me présente une dame dans le couloir, dont je me souviens plus du prénom, qui me dit «  En télé, en radio,  les petit retraites OK,  mais en photo,  comment l’exprimer ? » Je lui réponds «  Oui, comment photographier l’invisible ? », et elle me dit : « C’est tout le talent du photographe. ». Il me reste à trouver un bénévole retraité. 

Juin 2022

Je commence mes recherches pour trouver un bénévole retraité. Le problème, c’est que tout ceux que je rencontre n’ont pas des petites retraites. La plupart ont une retraite de 1500 à 2000 €, ce qui ne correspond pas à mon angle. Je repense aux Marmoulins de Belleville où j’avais été faire des photos pendant le premier confinement sur un sujet sur les oubliés du confinement. Je retrouve mon carnet de route de l’époque. J’appelle, ils se souviennent de moi et me donnent les coordonnées d Octavio. Je lui téléphone,  il est au Portugal. On convient d’un rendez-vous pour son retour. Je rencontre Octavio , il a une petite retraite. Nous convenons d un autre rendez-vous pour le reportage. Le reportage terminé,  je sauvegarde les photos.  L semaine suivante,  je reprends toutes les photos en me disant que la prise de vue sur les petites retraites est bouclée. Je n’irai pas plus loin, je travaille dessus depuis le mois janvier et un break s’impose pour moi.

Juillet 2022

Je reprends toutes les photos, je rentre dans la phase « editing » (choix des photos). C’est parti pour des heures et des heures d’ordinateur car je dois les visionner toutes. Je fais un premier choix de 200 photos ;  c’est trop, beaucoup trop. Alors, je recommence.        L’ordinateur m’épuise, je décide de tout imprimer à l’ancienne. J’étale les impressions par terre  et je regarde chaque détail. Certaines photos me paraissent bonnes;  mais pour certaines, il manque  l’émotion. Pour d’autres, un petit détail côté droit ou gauche parasite l’image ou ne respecte pas assez des personnes photographiées. Et hop, ma poubelle se remplit vite. Bon pour l’économie du papier, ce n’est pas vraiment cela ...  (humour ???). J’étudie chaque détail, car le cadrage est primordial pour moi. Ça valse ... Ma poubelle déborde. Mes amis photographes me disent : « Mais recadre,  il y a vraiment des bonnes plaques dans ce que tu jettes ». J’essaye, je réfléchis, mais je ne peux pas. Cela va à l’encontre de toute ma façon de travailler depuis toutes ces années. Chacun son école, ce n’est pas la mienne . J’arrive à 100 photos; j’essaye de monter un diaporama, où  il y a une cadence, sans redondance. J’essaye de trouver un rythme pour pouvoir interpeller les gens sur le quotidien de ces petites retraites, qui est un sujet  très peu visuel par définition.  J’ai besoin d’aide mais je n’ai aucune agence, ni regard extérieur pour me soutenir. Magdalena est en vacances et je ne veux pas la déranger. Je prends rendez-vous avec Emmanuelle de la BNF. Et  je téléphone aussi à Dimitri qui est en plein bouclage de Polka à Arles; il m’envoie sa sélection, Emmanuelle aussi. Le grand reportage doit être envoyé avant le 15 août 2022. Je téléphone aussi à François Georges de chez Picto pour prendre rendez-vous pour le traitement de l’image. Je réédite et fait un dernier choix de 28 photos. Le rendez-vous est calé chez Picto;  on travaille sur les images, mais pas trop, juste en rééquilibrage.  Je veux garder la réalité de la lumière et aussi des conditions de prise de vue. Après, j’attaque les textes  de présentation de chaque personne photographiée.   Quand on couvre des situations de famine ou de guerre,  je pense que la photo se suffit à elle-même. Mais sur ce travail, les trajectoires de vie sont importantes pour comprendre le contexte. Alors, je reprends mes carnets de route et j’écris. Je rédige aussi les légendes, j’édite les champs IPPC dans Photoshop. Je vérifie, encore une dernière fois, car j’ai peur de faire une connerie. Et hop,  j’envoie le tout sur le serveur de la BNF. « Espérons que cela ira »,  me dis-je. La deuxième étape sera le choix des photos de l’exposition pour laquelle il faudra éditer 10 photos.

A bientôt et bonnes vacances à  tous. A suivre